Notre société actuelle est marquée par le désengagement : chute du nombre de mariages, explosion des divorces, consumérisme sexuel via des applications de rencontres… Sommes-nous devenus des inadaptés de l’amour ? Pourquoi change-t-on plus souvent de partenaire qu’autrefois ? D’où proviennent nos sentiments d’instabilité et d’incertitude dans nos couples ? La sociologue franco-israélienne Eva Illouz, spécialiste des émotions et auteure du livre La Fin de l’amour, enquête sur un désarroi contemporain (éd. Seuil 2020) a enquêté sur le « non-amour » et la modernité de nos rapports amoureux. Elle constate que les relations amoureuses contemporaines dans les pays occidentaux sont de plus en plus fragiles. Grâce à cette enquête sociologique, Celles qui Osent vous expose les raisons de cette instabilité sentimentale croissante.
Nos relations amoureuses sont instables car nous disposons de la liberté de choisir
« Je crois que ceux qui défendent la liberté à tous crins le font de façon très naïve ou très individualiste, comme si les rapports amoureux étaient sous vide, constituant un espace dénué de toute force sociale. » Eva Illouz
L’amour est un sentiment intense d’affection et d’attachement envers quelqu’un. Il est lié à la reproduction sociale et au mariage. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’amour est vécu comme une transcendance, un cap. Les relations sont destinées à aboutir aux mariages, avec des règles, un contrat. Former un couple est adopté comme unique projet de vie. Aujourd’hui, nous disposons du droit au choix et de la liberté de ne pas choisir. Nous choisissons nos objets de consommation, et de la même façon, nos partenaires. Nous souhaitons consommer du plaisir sous toutes ses formes. La sociologue Eva Illouz souligne l’émergence des situationship, des situations définies comme temporaires, d’emblée programmées pour n’aboutir à rien de sérieux. Cette sexualité d’une nuit consiste d’une certaine manière à rejeter le partenaire, après l’avoir « consommé ». L’engagement amoureux s’inscrit alors de plus en plus dans des relations moins durables, plus instables.
Les hommes continuent de dominer les femmes
« La sexualité est devenue un problème : c’est à la fois par leur sexualité que les femmes ont été libérées, mais c’est par la sexualité qu’elles restent assujetties au regard et au désir masculins. »
À la fin des années 1960, la libération sexuelle révolutionne les relations de domination entre les hommes et les femmes. Mais celles-ci sont à la fois de grandes gagnantes, mais paradoxalement des perdantes de la liberté sexuelle. La société valorise le corps féminin, l’ultra-sexualise. En contrepartie, il devient interchangeable, non attaché à une personne morale forte. La femme demeure un objet assujetti au désir des hommes. La domination masculine continue de s’exercer, car la société sexualise beaucoup moins le corps des hommes. Certes, on attend d’eux de la puissance et de grandes prouesses au lit, mais les femmes doivent prendre soin d’elles pour être les plus désirables possibles. Et ce n’est pas la seule injustice. Un homme âgé peut être encore considéré comme séduisant, et choisir une partenaire plus jeune, tandis qu’une femme d’âge mûr voit une diminution plus nette de son pouvoir érotique avec l’âge.
Pour la sociologue, l’amour se soumet désormais à la loi du marché : les plus forts prennent le dessus. Les hommes, qui possèdent désormais un accès illimité aux corps des femmes, décident du but de la relation et la femme la dirige, en prenant à charge la régulation émotionnelle du couple afin d’assurer, à tout prix, sa longévité.
Pour aller plus loin : ce que le couple hétéro coûte aux femmes
Le capitalisme s’est invité dans nos liens affectifs
La destruction des liens intimes est liée à l’essor des réseaux sociaux, à la technologie, mais aussi à la consommation. Notre société moderne marchandise les relations amoureuses.
La revendication de la liberté sexuelle a été récupérée par le capitalisme dès le début du 20e siècle. Les industries ayant contribué à l’essor de la société de consommation telles que le cinéma, la publicité, la mode ou la cosmétique ont transformé le corps en objet devant être séduisant, pour tout le monde. Le corps de la femme est devenu une unité monnayable. Ces idéaux véhiculés par les publicités et les marques influent sur nos attentes amoureuses : nous exigeons beaucoup de nous-mêmes, et de nos partenaires.
La révolution sexuelle a permis la libéralisation des mœurs, mais le mot « liberté » est ambivalent en amour. Nous avons désormais la liberté de nous engager ou de nous désengager, d’enchaîner les « plans cul » librement, entraînant certes du plaisir à court terme, mais aussi beaucoup d’incertitudes et de chaos.
Les émotions et le sexe sont devenus distincts
Les applications de rencontre, comme Tinder, permettent de nombreuses relations sexuelles géolocalisées, rapidement. Ce genre d’outils contribue à renforcer la séparation du sexe et des émotions. Passé l’euphorie des premières rencontres, les gens se séparent, vite, parfois même à distance, par téléphone. (Dont les tristes florilèges s’affichent sur des comptes instagram comme Tej par texto). Nombreuses sont les relations qui s’arrêtent avant même d’avoir commencé. Le « non-amour », l’unloving, engendre beaucoup de questionnements et de désarroi.
Les couples vivent dans la confusion. Nous ne savons pas comment définir « de quelle relation il s’agit ». Quelle règle suivre au sein du couple ? Quels types d’interactions sont acceptables ou pas ? Autant de questions laissées en suspens, qui nous emplissent de doutes. Le manque de règles saines provoque des relations qui n’arrivent pas à s’enclencher. Elles finissent très rapidement, créant de l’incompréhension et une immense misère sociale, affective et sexuelle. Dans son livre Le Cœur synthétique, Chloé Delaume parle de ces cœurs fatigués, des femmes lasses d’essayer qui doivent inventer des stratégies pour se sentir moins seules.
On cherche à atteindre l’égalité des sexes
« Nous sommes passés d’une ère qui s’est battue pour la liberté sexuelle à une ère où l’on se bat pour l’égalité sexuelle. »
Pour la sociologue, c’est la superposition des structures de domination traditionnelle et les principes de liberté et d’égalité des sexes qui créent la crise. « Tant que la définition des femmes s’apparentera à leur capacité à être en couple et à la maternité, et que les hommes continueront à les dominer économiquement, il leur sera difficile d’atteindre l’égalité. » La liberté sexuelle a permis de se libérer des carcans du passé et a envisagé les rapports hommes/femmes de façon plus égalitaire. Cependant, la perte des codes amoureux a provoqué une grande confusion : nous envisageons l’amour comme un plaisir individuel, à consommer librement, entraînant parfois une forme de désarroi et une instabilité émotionnelle importante.
👉 Pour aller plus loin, découvrez l’ouvrage d’Eva Illouz, La Fin de l’amour, enquête sur un désarroi contemporain :
☕️ Sur Celles qui Osent, nous parlons d’amour ! Lisez nos articles sur l’érotomanie ou les relations polyamoureuses.
Violaine B — Celles qui Osent
Sources :
Entretien d’Eva Illouz dans le Socialter du 09/10/2021
La fin de l’amour, enquête sur un désarroi contemporain, Eva Illouz
Vidéo France Culture – entretien avec Eva Illouz : La Fin de l’amour
En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent
1 Comment
Les personnes qui ont des relations instables sont simplement des personnes égoïstes qui exigent des autres un engagement qu’elles sont incapables de fournir elles-même. Ce sont des personnes totalement égoïstes, immatures, capricieuses qui se comportent en enfants pourris et gâtés, et qui surtout sont incapables de rendre les autres heureux. Ces personnes ne méritent pas d’être aimées mais uniquement utilisées, comme elles utilisent les autres tels des jouets dont on se lasse uniquement pour satisfaire leur petit égo surdimensionné d’enfant gâté.